Intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme, assouplissement au profit du voisin immédiat
Issu de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme définit les critères de l’intérêt à agir à l’encontre des décisions de permis de construire, de démolir et d’aménager :
« Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».
Applicable aux recours formés contre les décisions intervenues après son entrée en vigueur, le 19 août 2013, ce texte est venu restreindre l’intérêt à agir des particuliers ou sociétés à l’encontre des autorisations d’urbanisme.
Par un arrêt du 10 juin 2015 (Brodelle et Gino, req. n°386121), le Conseil d’État est venu préciser les obligations d’ordre procédural qui en résultent pour les parties, au premier chef, pour le requérant auquel il appartient désormais de :
« préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ».
Le défendeur – pétitionnaire ou autorité ayant délivré le permis – peut quant à lui, s’il entend contester l’intérêt à agir de son adversaire, « apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ».
Le Juge forge sa conviction au vu des éléments du dossier étant rappelé qu’il n’est nullement exigé du requérant qu’il établisse le caractère certain des atteintes qu’il invoque, le texte ne visant que les constructions, aménagements ou travaux « de nature à » porter atteinte aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien.
Cette décision confirmait une prescription formelle que les praticiens avaient d’ores et déjà dans une grande majorité mis en œuvre en pratique, savoir développer dès le stade de la requête, les motifs pour lesquels leurs clients entendent contester le projet.
Restait à préciser comment serait apprécié l’intérêt à agir au sens du nouvel article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme.
Il faut rappeler que l’objectif de la réforme de 2013 résidait notamment dans la lutte contre les recours dits « abusifs » et l’accélération du traitement du contentieux des permis, tant il est de notoriété publique que le simple enregistrement d’un recours à l’encontre d’un permis fait obstacle à la réalisation du projet, le temps de la procédure.
A cet effet, l’ordonnance du 18 juillet 2013 a ouvert le droit pour le bénéficiaire du permis de présenter, en cours d’instance, une demande de dommages et intérêts lorsque la procédure est mise en œuvre « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » et qui lui « causent un préjudice excessif » (article L. 600-7 du Code de l’urbanisme).
Ainsi, il était important de savoir où le Conseil d’État placerait le curseur de l’intérêt à agir à l’aune des nouvelles dispositions légales, tandis que le spectre de la « demande indemnitaire reconventionnelle » pesait sur le requérant qui excéderait la stricte défense de ses intérêts « légitimes ».
Cependant, tandis que l’arrêt « Brodelle et Gino » laissait relativement optimiste – ou pessimiste, c’est une question de point de vue – sur l’appréciation portée, par les Juridictions administratives sur l’intérêt à agir (au cas d’espèce, des requérants vivant à 700 m du projet ont été déclarés recevables à contester une station de conversion électrique de 1000 MW), un arrêt du 10 février 2016 a jeté l’étonnement.
Par cette décision (req. n°387507), le Conseil d’État :
– non seulement, a estimé que les requérants, voisin immédiat d’un projet d’immeuble en R + 2, n’établissaient pas leur intérêt à agir contre le permis par :
. la seule indication de leur qualité de voisins directs,
. l’affirmation de ce que le projet, très vitré de leur côté, créera des vues,
. la production de plans de situation,
– mais a validé le rejet de leur requête par Ordonnance pour irrecevabilité manifeste (art. R. 222-1 du Code de justice administrative), certes après mise en demeure de régulariser la procédure, mais… sans audience publique,
– alors, au surplus, qu’ils ne pouvaient interjeter appel puisqu’ils résidaient en « zone tendue » (secteur souffrant d’un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements) dans laquelle l’appel a été temporairement supprimé, à titre expérimental… (article R. 811-1-1 du Code de justice administrative).
Cette décision critiquée, à juste titre, pour son rigorisme excessif a été prononcée sur conclusions contraires du Rapporteur public, Mme BRETONNEAU, laquelle considérait :
« nous pensons en effet que l’objectif poursuivi par l’article L. 600-1-2, auquel nous souscrivons pleinement, qui est de déminer les intérêts pour agir artificiels, ne doit pas avoir pour corollaire des artifices procéduraux imposés par le Juge aux requérants dont l’intérêt pour agir va suffisamment de soi à la lecture du dossier ».
À peine 2 mois plus tard, la Haute juridiction en prend le contre-pied et reconnaît au « voisin immédiat » du projet contesté, « eu égard à sa situation particulière », qu’il « justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le Juge (…) d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » (CE, 13 avril 2015, M. Bartolomei, req. n°389798, cf. également : -, -, req. n° 389801, 389799, 389802, 389109).
Elle confirme le principe dans une décision du 20 juin 2016 (del prete, req. n°387507), censurant le Tribunal administratif de Marseille lequel avait rejeté une requête, pour irrecevabilité manifeste, dans des circonstances très similaires à celles qui avaient donné lieu à l’arrêt du 10 février 2016 précité :
« Qu’en se prononçant ainsi, alors que la requérante avait apporté la preuve de sa qualité de voisins du projet litigieux et fourni des documents cartographiques permettant d’apprécier la nature, l’importance et la localisation du projet contesté, le président de la 2e chambre du Tribunal administratif de Marseille a méconnu, au prix d’une erreur de droit, les règles d’application de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme (…) ».
Voilà qui doit donner des regrets aux requérants qui ont vu, quelques mois plus tôt, leur recours rejeté sur le fondement de l’article L. 600-1-2 mais se révèle symptomatique de la grande mouvance du droit, particulièrement en matière d’urbanisme.
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Ainsi, l’impact de l’article L. 600-1-2 aura été en ce qui concerne le voisin immédiat du projet, essentiellement formel, dès lors qu’il bénéficiera toujours suite à la réforme de 2013 d’une sorte de « présomption » d’intérêt à agir – même si elle ne dit pas son nom -.
Reste que la médiatisation de l’ordonnance du 18 juillet 2013 et de la décision du 10 février 2016 auront imprimé, dans les esprits, l’idée d’une restriction sensible de l’intérêt à agir à l’encontre des autorisations d’urbanisme.
Certainement vraie en ce qui concerne les requérants qui ne se situent pas à proximité immédiate du terrain d’assiette du projet, elle est inexacte s’agissant du voisin direct lequel, premier concerné par l’édification de la construction, est pourtant très souvent à l’origine de la contestation du permis.